Feuillevent - Chapitre 1 - Le temple maudit - Samedi 21 octobre 2017

C’est avec un gros soupir que la lavandière regardait la petite colonne s’éloigner à pied. Elle descendit du chemin de ronde pour retourner à ses activités avant que Pataryl, l’intendant de la forteresse, ne remarque son absence. Elle ne put s’empêcher de sourire en croisant Niels avec ses valises sous les yeux. Ce benêt n’avait su gérer ni sa fatigue ni sa capacité à ingurgiter la bière mise en perce spécialement pour l’occasion… Elle et ses amies avaient levé les yeux au ciel lorsque, bravache, il avait mis les nains au défi. Son état n’avait pas permis à Line de mettre en œuvre son projet de soirée amoureuse avec lui. Il avait roulé sous la table bien avant cela et elle avait dû se contenter de soupirants d’un soir…
Ce qui n’avait pas manqué d’étonner la joyeuses troupe des lavandières, c’était cette guerrière naine à l’air revêche qui n’avait pas décroché plus de 4 mots malgré leurs tentatives. Pas moyen de l’entraîner à quelques bêtises, même après les huit pintes de bière du concours. Elle prenait très au sérieux son rôle de garde du corps, même si elle en avait été libérée a priori ce matin puisqu’elle participait à la petite expédition qui devait déjà avoir traversé la rivière.
De penser à cette troupe lui remis en mémoire le sourire coquin de ce bellâtre de troubadour. Le mufle !! Que n’avait-elle été inventer comme stratégies avec ses amies afin que ce coquin ne lui offre les délicates boucles d’oreille d’argent en forme de feuilles de l’arbre de Newt. Le rustre ! Il avait profité de ses charmes et elle n’avait eu en retour que son impudent sourire !! Pourtant, doué pour la musique autant sinon plus que maître Pataryl, il avait surement les moyens de lui faire cette coquetterie. Bah ! Sa nature joyeuse reprenant le dessus, elle se prit à fredonner l’une des nombreuses balades du répertoire de ce barde bienvenu dans cette forteresse du bout du monde connu.
Elle était encore surprise qu’il n’ait pas su charmer la magnifique jeune femme avec laquelle il était arrivé. Ceci dit, son carrosse grand luxe, ses gardes et le fait qu’elle ait embauché pour son voyage un aède laissait à penser qu’elle était une dame de haut lignage ou à tout le moins d’importance. D’ailleurs, maître Albéan avait été tout sourire avec elle durant cette folle soirée de festivité. Pensez donc ! Un repas merveilleux, une pièce de théâtre magistralement exécutée par le rustre qui occupait ses pensées malgré elle, des chants et contes à foison, la magie de feu de maître Albéan au service d’un spectacle prodigieux et quelques pages et serviteurs qui présentaient leurs talents de jongleurs. Une soirée plus que réussie ! La magie du moment avait même réussi à opérer avec cet étrange elfe des bois couturé de cicatrices. Une des dernières mélodies l’avait déridé et son visage, son corps tout entier s’était tourné vers la musique, captivé malgré lui. Une once de douceur était apparu sur les traits qui avaient tant fait peur aux serviteurs qu’il avait harcelé depuis deux jours. Et de toutes sortes de questions qui lassaient à penser qu’il était plutôt un peu simple… et cette manie de toujours se déplacer avec son trident de bois sombre, y compris durant la fête !!! Etait-ce la place d’une arme, si singulière soit-elle ?? Étonnamment, il était farouchement défendu par la petite Manon. Elle l’avait guidé, à la demande de Pataryl, jusqu’au chalet de bois des invités elfiques. Elle boudait à la moindre remarque désobligeante concernant ce Barad… Que pouvait-elle bien trouver à cet innocent ??
L’autre elfe, si jolie avec ses cheveux d’or et ses yeux violets, avait également été sensible aux charmes de la mélodie dont elle entendit par la suite qu’il s’agissait d’une ancienne berceuse elfique… Elle avait d’ailleurs été étonnée que cette jeune elfe accompagne le groupe de son mufle, alors qu’elle venait juste d’entrer dans le cercle fermé des étudiants de maître Albéan… Encore un mystère pour les gens simples comme elle…
Finalement, il était probable que tout le monde souhaite voir le fameux arbre de Newt… La jeune noble Aldane, son cocher puant et malotru, la guerrière naine, son rimeur pingre et amant d’un soir, cette elfe magicienne, l’elfe des bois, étrange et incongru comme son trident et le prêtre malingre aux mollets bien découplés qui passait une partie de son temps à courir autour de Feuillevent…
Ils ne manqueraient pas d’amuser et de ravir le petit Ned…

Le petit Ned était terrorisé et extrêmement inquiet lorsqu’il les vit arriver. Qu’ils étaient différents d’il y a juste… mais oui, juste 2 jours…
D’abord, il manquait l’étrange elfe au trident de bois… Que lui était-il arrivé ? Ned l’aimait bien malgré son esprit manifestement confus et les souffrances qui se lisaient sur son visage. Le barde à la voix si douce et profonde n’était pas revenu non plus. Il l’avait fait rire avec ses histoires à dormir debout. Il lui manquait à présent. Il aurait su mettre des mots sur sa tristesse… Et puis l’homme sombre n’était pas là – il apprendrait plus tard qu’il les avait trompé en se faisant passer pour un serviteur alors que c’était un assassin - l’assassin de Maître Antarx dont le corps reposait dans l’une des cavernes du site. Ils revenaient avec Dame Meryl, son épouse, mais leur enfant avait été enlevé par d’horribles hommes maléfiques, associés des orques et amis de l’homme sombre. Ned avait du mal à digérer toutes ces informations et soutenait tant bien que mal Dame Meryl et Dame Aldane, l’une pleurant et l’autre muette de stupeur… Après les avoir installées du mieux possible dans sa chambre au fond de la grotte, il activa discrètement la clochette d’alarme pour prévenir son maître puis sorti rejoindre les autres. Il écouta le prêtre et la guerrière naine refaire la bataille. Ils cherchaient à en comprendre le sens afin d’en tirer des éléments pour orienter leurs futures décisions. Non loin, toujours aussi discrète, se tenait la jolie elfe concentrée sur son grimoire de magie, cherchant probablement à trouver un sortilège pouvant les aider…
Au récit de l’embuscade qui avait coûté la vie de maître Antarx, Ned ne pu s’empêcher de se poser des questions… Pourquoi l’elfe des bois n’avait-il pas usé des pouvoirs de son trident lors de la bataille et comment le prêtre n’avait-il pas pu soigner à temps l’époux de Dame Méryl alors qu’il avait le pouvoir de guérir, l’ayant précédemment sauvé du poison ? Et enfin, comment ces hommes vils avaient-ils eu le temps de s’échapper avec la petite Méliane ? A cette pensée, un frisson de peur le parcouru… Il avait entendu parler des rumeurs de ce temple maléfique qui n’hésitait pas à sacrifier les vies innocentes. Il savait que son maître recherchait inlassablement ce culte maudit… Ned ne doutait pas que le druide du bosquet de Newt vienne en aide à ces aventuriers qui souhaitaient racheter leurs fautes…